Lettre à mon fils

Femme enceinte

Être père, c’est être un homme neuf ; sous l’armure un cœur marbré
Car longtemps m’aura-t-il fallu partir en quête d’un foyer où m’ancrer
C’est mener, à nouveau, une lutte ravivée par la puissance d’Être
Pour soi, et pour cet autre. Que demain forge la noblesse de tes lettres !

Être père, c’est mourir un jour ; renaître auprès de toi, à l’unisson
Se résigner dans l’instant, pour mieux s’élever la vie est un bras de fer
Travers d’un monde injuste, dont le déclin trame les horizons
Où rare est celui protégeant l’écrin, pureté du ciel et de la terre

Être père, c’est éteindre ma flamme pour allumer la tienne, entre deux nuages
Sans doute se succèderont-elles, dans la nuit immortelle de l’univers
Enfin, c’est avoir peur, sans jamais craindre les mers ni les déserts
Naviguer dans l’obscurité, en rêvant qu’un phare éclaire notre rivage

Être père, c’est se montrer vulnérable, tout en faisant trembler les Monts
Ne plus se retourner. Puis hors du passé, surgir dans l’aube du matin
T’aimer, toi qui braveras les jours et les nuits, une torche entre tes mains
Qui sait ce qu’elle révèlera des toiles que j’ai peintes en ton nom ?

Être père, ce voyage à accomplir ; honorer le présent, me conjuguer à ton histoire
Défier le large, rien que pour toi, sur une barque dont j’ai cloué le bois
Se rappeler que les étoiles règnent dans le chaos céleste, au-dessus de soi
Que nous échouons parfois. Mais tandis que l’Homme s’éteint, perdurent ses victoires

Être père, c’est être imparfait. Et voir dans l’abime les couleurs du soir
L’orange puis le rose. Et enfin, le bleu qui soudain s’abreuve du noir
L’aurore assiège les champs, et déjà tu gémis, vierge comme une page à encrer
Sous les ruines de la Terre, verras-tu la beauté éclore : fleurs nées du soleil et de la pluie ?

Être père, ou se laisser porter par des courants divins, quand on est seulement ordinaire
Mais nul n’aura tes gènes, dont le corps hérite. Comme la branche d’un grand chêne
Flocon de neige, tu pleures et souris dans la tempête, tel un enfant d’hiver
Serai-je un jour ta pierre de sagesse, et toi, le roseau narguant les plaines ?

Être père, c’est enfreindre le « moi », pour que le « nous  » embrasse son propre destin
Faire pleuvoir des rimes diluviennes, sur ton doux jardin de prose et de laine
Coudre de la poésie dans l’orage et l’accalmie. Quand Terre est mère, et que Mère est reine
Amazone est la jungle, où l’on trouve l’écorce et la sève dont il faudra te nourrir au sein

Être père, c’est être géant et invisible à la fois ; gorgé de force, pétri de faiblesse
Mais ne plus marcher seul. Ô fils, puisses-tu cheminer vers des territoires inconquis !
J’ai livré bataille, sans trahir ni me cacher, semant dans mon sillage des grains d’ivresse
Sache qu’entre l’Eden et l’Enfer, la route est à toi. Alors je t’y conduis

Comme un père.

À mon fils, Clovis Tolga Préti
Né le 15 février 2023

© Crédits photo Plumeria Photographe


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