Voilà déjà trois étés d’affilée que je m’aventure en Gaspésie, depuis mon immigration à Montréal. Si mon baptême s’est fait dans le massif des monts Chic-chocs, je prends cette année la route jusqu’au village côtier de Percé, afin de m’enivrer de l’air marin en cette « fin des terres » encore inexplorée par de nombreux québécois.
Mais cette fois-ci, il me faut ajouter un défi supplémentaire pour rendre ce périple aussi palpitant qu’une promesse rapprochant un être de la demeure de ses fantasmes. C’est donc avec une grande hâte que je m’élance sur le parcours du Gaspesia 100 – soit un total de 106 km à parcourir dans un cadre maritime aussi enchanteur que nuancé, entre mer et montagnes. Comme toujours, l’occasion m’est ainsi été donnée d’en apprendre davantage sur mes aspirations, bien au-delà de la simple dimension sportive.
La nature est un miroir, et la course mon allumoir
Si le jour précédant l’épreuve, les intempéries ont rendu les foules craintives, cela n’a pas suffit à refréner mon enthousiasme. Face à la puissance des éléments qui dans leur rudesse peignent une atmosphère quelque peu romanesque, nous plongeons dans un décor digne d’une œuvre de Caspar David Friedrich. En faire mention suppose pour ma part d’avouer, et d’assumer, un penchant inébranlable pour toutes formes d’expressions mélancoliques. Et pourquoi donc m’en cacherais-je lorsque je me plais à observer l’aube naître d’un abîme, et le bonheur véritable éclore dans un écrin de polarité ?
Tel un homme sans racine – ou du moins les ai-je volontairement ensevelies sous terre des années durant pour m’élever d’un vierge terreau – je reste dans la quête perpétuelle d’une identité, si ce n’est d’une vie nouvelle. Un éternel recommencement où seule une vie contemplative perdure.
Lors de cet ultra-trail, le terrain n’est pas des plus accessibles, bien au contraire. Plus que la technicité, ce sont les conditions générales (état du sol et obstacles divers) qui contrarient ma progression à travers la forêt gaspésienne. Et même si je passe fièrement la ligne d’arrivée au milieu de la nuit, je termine blessé et physiquement esquinté. Malgré le doute et la douleur, sans cesse suis-je néanmoins ramené aux étendues maritimes, que ce soit par la vue vertigineuse offerte aux sommets des montagnes, ou bien sur la plage de Coin du Banc. Un site inoubliable.
Un goût d’écume, une marée de liberté
Si les sports de combats me conditionnent pour vaincre, la course en nature m’apprend quant à elle à m’incliner. Je le conçois, y adhère par résilience et m’y résigne enfin. Boitant à l’arrivée tel un ivrogne gorgé d’air marin, et succombant aux rugissements poétiques d’un fragment de lune, je prends soin de garder précieusement à l’esprit que l’Amour est un phare qui éclaire dans les méandres d’un cœur plein. Il serait peu dire qu’en mes veines, coule une encre saline à m’en mouiller les paupières, devant ce petit bout de Gaspésie où sans doute ai-je trouvé ma lumière. Étrangement, je me sens enfin chez moi, prêt à jeter l’ancre en ces lieux profondément romantiques où les éléments se joignent pour me conter le large, et mettre en exil le poids d’un passé devenu léger.
De l’écume à la cime, les vagues m’auraient-elles délicatement porté jusqu’aux sentiers de la contemplation ? Après tout, ne sommes-nous pas tous faits pour lever les yeux vers les étoiles, et nous noyer dans de célestes rivages ? Qu’y a-t-il donc de plus fascinant que la vie brute et sauvage que nous avons quittée, pour la plupart d’entre nous, mais qui instinctivement nous habite encore ? Le trail nous le rappelle parfois.
Quelques jours plus tard, alors que je suis de passage en France, je retrouve la ville de Bordeaux qui, après que j’aie autrefois vécu à Paris, est devenue ma ville de cœur et d’adoption. Dans les ruelles d’un quartier où le charme des échoppes et de la pierre me font l’effet d’une madeleine de Proust, la nostalgie m’envahit. Par la même occasion je prends conscience que ma place est ailleurs, et que mon destin se dessine dorénavant outre-Atlantique.
Non par hasard, ai-je couru aussi loin…
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