De la course à l’écriture : une épreuve d’endurance

« Le sens de la vie est de trouver ses dons. Le but de la vie est d’en faire don aux autres. »

Pablo Picasso

Nombreux sont les auteurs qui comparent l’écriture d’un roman à un marathon, afin de mettre l’accent sur l’endurance dont il faut faire preuve pour y mettre un point final. Non pas que je veuille jouer avec la surenchère, mais je serais tenté de faire la comparaison avec un ultra-trail, soit une course de très longue distance avec un dénivelé à couper le souffle ; une épreuve d’endurance qui ressemble plus à une aventure épique qu’à un épisode de vie sans péripéties. Pourquoi une telle analogie ? nous parlons bien de la création d’une œuvre littéraire ; celle que l’on parvient à mettre au monde à la force de son talent… à moins qu’il ne faille davantage compter sur l’éprouvant travail sous-jacent et de longue haleine.

J’ai (trop) longtemps fui cet espace effervescent, réfuté cet appel irrévocable. J’en ai même fait un fantasme dans lequel il était plus simple de se complaire plutôt que d’investir l’écriture comme une réelle vocation. Peut-on échapper indéfiniment à l’identité que l’on compose au fil des années, aussi inconsciente soit-elle ? Si au bout du chemin, l’impasse nous tend les bras et se moque de nous, c’est que nous avons probablement emprunté le mauvais embranchement. Écrire, et pour être plus précis, devenir romancier, n’étais-ce pas pourtant la destination prisée de mon plus jeune âge ? Si je vous livre cette réflexion aussi crûment, c’est qu’elle me hante et m’habite comme jamais elle ne l’a fait auparavant. Voilà pourquoi, j’ai tendu l’oreille pour mieux écouter ce que l’aspirant écrivain enfermé dans le cachot de mes résistances avait à clamer : « coupable ! » s’est-il écrié ; coupable de vouloir exister. C’est un peu comme si je l’avais emprisonné malgré lui toutes ces années passées à contourner son dessein. Ce que j’avais du mal à concevoir, c’est l’évidence selon laquelle j’étais le seul à posséder la clé de la cellule.

Les petits succès nous guident vers la ligne d’arrivée

Quel rapport avec la course à pied, me direz-vous ? Comme le décrit si bien Haruki Murakami dans son livre autobiographique Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, la pratique de la course dès lors qu’il est question d’établir une progression durable et d’atteindre des objectifs significatifs, exige des qualités que l’on retrouve d’autre part chez le romancier, dont la persévérance et la patience. On ne peut ignorer l’immense discipline que les deux activités, écrire et courir, demandent.
Si je ne cache plus ma propension naturelle à peindre avec les mots, autant que l’amour irrationnel que je leur porte, je ne compte plus le nombre de fois où je m’en suis détourné, au prix d’une frustration incessante. Mais puisque j’ai pris la décision de braver la montagne que je n’ai encore jamais osé grimper, et que j’ai signé un armistice avec cette partie de moi qui recule devant la peur de l’échec et refuse de s’assumer, je n’ai plus d’autre choix que d’avancer. Toutefois, j’ai su développer une qualité indéniable ; celle qui me sera possiblement la plus utile : l’endurance.

Avoir eu l’opportunité de franchir la ligne d’arrivée de plusieurs courses de trail — parfois après 170 km d’effort intense et soutenu — dans des environnements contrastés (montagne, désert, forêt etc.), je peux affirmer que la concrétisation de ce genre d’accomplissement n’est envisageable qu’à l’issue d’un plein engagement de soi, non-négociable. Par conséquent, la force des apprentissages hérités des ultra-trails est un des piliers de la réussite dans mon entreprise littéraire. Je le sais bien, l’aboutissement d’un livre, qui plus est d’un roman, est précédé par toute une série d’étapes pareilles à de petits succès cumulables, à l’instar d’une course de trail de longue distance dont la réalité de la médaille prend forme après tant d’entraînements, de rebonds de motivation, de difficultés, de doutes et d’erreurs. De vraies montagnes russes ! Ce sont définitivement les tâches achevées jour après jour, marquées par la succession de chacun de nos pas, dans l’épuisement comme dans la fougue, dans la tristesse comme dans la joie, qui nous procurent la jouissance de côtoyer le sommet quand on y est parvenu.

L’inspiration est une graine que l’on sème dans le terreau de l’acharnement.

Une destination pour retrouver le goût de rêver

Je dois le reconnaître, ces derniers mois ou années n’ont pas été de tout repos. La crise sanitaire et les multiples restrictions, entre autres, ne m’auront pas aidé à réaliser ce qui me tenait à cœur quant à mes projets de sport et d’aventure. Mais là encore, les prétextes sont nombreux si l’on s’obstine à en chercher. L’état d’esprit se travaille et se conditionne brique après brique, notamment par les actions que l’on met en place pour cheminer toujours plus loin sur la route de ses passions. Immobile un temps, c’est se montrer vulnérable que d’admettre mon égarement ; sans doute ai-je là aussi une leçon à en tirer.

Lorsque que l’on surpasse ses blessures et ses propres filtres, et que l’on devine de quoi est faite la flamme qui nous illumine de l’intérieur, il convient de démasquer en soi les failles pour mieux en déjouer les écueils. Rêver à nouveau, cela passe pour moi par trois mots simples : écrire, courir et découvrir.
Le formuler ainsi constitue en quelque sorte ma boussole pour l’avenir. Chaque jour où je me perdrai, je me souviendrai qu’il est bon de se guider grâce aux étoiles, car celui ou celle qui ne cesse de contempler le ciel ne peut s’enliser dans les terres hostiles de l’esprit rongé par les regrets. Avoir confiance en soi est une chose, agir au quotidien pour se donner les moyens de répondre à ses aspirations dépend ultimement de l’inconfort dans lequel nous sommes prêts à naviguer.

Cette année, je m’attèle à l’écriture d’un roman — ce n’est pas ma première tentative mais cette fois je suis convaincu d’être suffisamment outillé pour aller jusqu’au bout. Il faut bien un départ, la suite du voyage reste à inventer.


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